MILES CHRISTI

 Cette page est destinée à abriter les Chroniques d'un  frère  du Temple, le Sergent Guilhem, Membre de l'Ordre  Sacré  de   la Milice du Christ.

Mise à jour le 18/03/00

Il fut accompagné, durant ses périples et à partir de 1073, par les Sieurs Chrétien de Montfort (alias Olivier), Ganelon de Porte Brune (Christophe), Philibert de Blanche Roque (Cécile) et Graff Von Richthoffen (François), sans oublier la présence tendancieusement invisible de Pierre, caché derrière son gigantesque écran.

 

Saint Jean d’Acre, Printemps 1073

                Mon nom est Guilhem, Frère Guilhem de la Milice des Pauvres Chevalier du Christ, Sergent et Gonfalonier. Ces quelques notes jetées sur ces pages sans prix ne serviront peut-être qu’à apaiser mon âme enflammé mais j’espère qu’elles convaincront le lecteur de la justesse de mon choix, de la bonne conduite de ma vie.

        Les raisons qui m’ont poussé à rentrer dans l’Ordre sont diverses et il n’est pas lieu ici de les rapporter. Sachez seulement lecteur, que dès mon adhésion au Temple, je m’attachais à respecter la Règle et la hiérarchie, seule capable d’assurer le bon fonctionnement de l’Ordre et la sécurité de la Terre Sainte.

                C’est au début 1073 que je fus introniser au rang de Frère Sergent. Arrivé depuis peu à Marseille, j’avais fait une demande auprès du Frère Visiteur de la commanderie phocéenne dans le but de connaître les démarches nécessaires à mon entrée, si elle était possible au sein du Temple. Mon rang de vilain m’interdisait la Chevalerie mais l’Ordre m’offrait bien plus : l’alliance de la foi et du combat, le statut de bras armé du Christ.

Les jours passant je me sentais envahir par la douceur du port, à l’époque encombré de nombreux navires en provenance ou en partance pour la Terre Sainte. Quelle odeur aurait-elle ? L’odeur salée de Marseille ou parfumée des garrigues montpelliéraine ? L’avenir me dirait que l’atmosphère de la Terre Sainte était plus empli de sueur et de sang que de doux parfums enivrants.

Je logeais dans une petite auberge correspondant à mes maigres moyens et c’est là entre deux repas frugales que je rencontrais ceux qui devinrent les plus intimes de mes frères. Il y avait Ganelon de Porte Brune, breton impulsif à la toison rousse qui imposait par sa taille démesurée, et Philibert de Blanche Roque, jeune de vingt deux ans au regard passionnée et à la beauté indicible, il venait d’Albi. De la lointaine Germanie descendait Graff Von Richthoffen, un noble Comte à fière allure et d’une rare blondeur. Le dernier et non des moins mystérieux était Chrétien de Montfort ; ce moine me laissa dès notre première rencontre perplexe, nous ne vivions pas réellement dans le même univers. Je préférais les durs combats à mains nues tandis qu’il aimait à se plonger dans les livres les plus ardus.

                C’est tous ensemble que nous le Chevalier Visiteur de la Commanderie de Marseille nous accueillit au sein de la Milice du Christ. Frère d’arme et d’initiation, nous partagerions désormais notre vie. Pour le pire comme pour le meilleur, notre sacerdoce était fait.

                Le voyage en bateau me sembla bien court tandis que les eaux bleus de la Mare Nostrum glissait sous la poupe effilée de la galère du Temple. Je fis plus ample connaissance avec mes frères mais j’attendais avec impatiente de voir leur comportement au combat. Il fallait pouvoir leur faire confiance et je voulais avoir dans mon dos des chevaliers courageux et adroits. Il s’avéra que chacun de mes compagnons correspondit à cette description.

                Nous arrivâmes en vue de Saint Jean d’Acre quelques semaines plus tard et nous fîmes alors connaissance avec notre première Commanderie. Le Maître en était juste et bon, à l’instar du Sénéchal et des autres Frères présents. Je me fis rapidement à l’ambiance austère régnant dans la forteresse et ma vie bercée par les ordres de mes supérieurs et les prières me semblait bien agréable. L’écuyer, qui m’avait été confié, était un damné menteur mais je n’en avais pas honte au vu des comportements païens des écuyers de mes Frères. Nous n’étions pas gâtés par le destin et il me semblait parfois que Satan, ne pouvant nous toucher, avait introduit auprès de nous ces infâmes pour nous tenter.

Le temps passa rapidement et advint notre première mission. Mandés dans la Salle du Chapitre le Maître nous invita à l’écouter exposer nos directives. Nous devions rejoindre une Baronnie dirigée par le fameux Olrik et sa femme Solange. En effet les pèlerins traversant les terres du baron étaient depuis quelques semaines la proie de pillards n’hésitant pas à tuer pour obtenir des pauvres francs de passage de l’argent. Le baron vivait en bonne harmonie avec le Scheik Aziz possédant des terres jouxtant celles d’Olrik. La situation de paix devait perdurer et les attaques des pillards ne devaient pas perturber l’équilibre existant. La diplomatie était le maître mot et nous devions découvrir au plus vite l’identité des voleurs et les neutraliser selon nos possibilités.

                Notre colonne arriva au château d’Olrik après une demi journée de cavalcade. J’étais fier de la manière ordonné avec laquelle notre groupe marchait. Chaque Templier était précédé de son écuyer et eux même chevauchait droitement alignés. Notre étendard flottait à l’avant du convoi, symbole de notre force et de notre Ordre. La Règle était respectée pour le bien de tous.

Le château se dressait, fière citadelle au royaume des infidèles, au sein d’une petite vallée écrasée par le soleil de printemps. Un village de petite dimension l’entourait et, dès notre arrivée, nous vîmes les habitants sortirent avec curiosité de leurs demeures. Les quelques Francs, perdus dans la masse, semblaient nous regarder avec plaisir tandis que les musulmans, majoritaires, à notre vue détournaient le regard avant de retrouver leurs blanches maisons.

L’enceinte du château, blanchie à la chaux vive, cachait à la vue des passants le manoir ainsi que la chapelle rappelant à tous l’omniscience de Dieu, présent dans le moindre des village du monde civilisé (NdGautier : il faut vraiment y croire).

Le Baron nous reçu avec toute la courtoisie due à notre Saint Ordre et accepta avec bonne grâce de nous entretenir des évènements récents posant problème au Temple. Olrik nous expliqua avec conviction que le Scheik Aziz avait décidé récemment de commettre le pire des crimes, le pillage des caravanes de Pèlerins. Il croyait fermement à la culpabilité du Scheik mais il nous sembla que son acharnement était quelques peu déplacé et, sur ma foi, la situation en pouvait pas être aussi simple. En effet, les deux hommes vivaient en harmonie depuis des années et le Scheik n’aurait pas pris un risque aussi gros en connaissant la force militaire des francs en cette année 1073. Une tierce personne devait tirer les ficelles de cette obscure affaires. Après cette courte discussion Olrik nous amena jusqu’à la cour intérieure du château où gisaient pèle-mêle les marchands et pèlerins victimes des attaques récentes. Sur le sol poussiéreux, ils pansaient leurs plaies dans des conditions précaires et semblaient abattus par ce qui leur étaient arrivés. En tant que Milicien du Christ nous ne pouvions accepté pareil chose, les coupables devraient payer, de leur vie s’il le fallait.

                Abandonnant le Seigneur Olrik à ses activités, nous rejoignîmes la Chapelle où nous attendait, chaleureusement, le prêtre local. Celui nous exposa sa vision des choses. Il lui semblait que le Baron avait fort changé depuis la maladie de sa femme qui avait contracté, par il ne savait quel œuvre de Satan, la lèpre. La venue des pillards n’arrangeant rien, Olrik avait sombré dans une sourde mélancolie et passait de la joie à la colère comme une girouette tourne au vent. La foi avait quitté le cœur triste d’Olrik. Nous aurions pu le croire, mais l’avenir nous prouva qu’elle n’avait jamais ou très peu existée.

               La nuit se passa sans incidents notables excepté une rencontre fort aimable avec le Capitaine de la Garde du château qui nous apprit bon nombre d’informations pertinentes.

Le lendemain matin, décidés, nous nous dirigeâmes vers les terres arides d’Aziz dans le but de connaître son point de vue sur l’affaire et ses préoccupations actuelles. Après quelques heures de calme chevauché dans le désert que nous arrivons en vue du camp d’Aziz, une mer de blanches tentes réfléchissant la lumière flamboyante du soleil. Quelques maures à la mines sombres sous leurs amples vêtements nous entourèrent rapidement et Chrétien demanda, avant que la situation ne dégénère une entrevue pacifique avec Aziz. Les Sarrasins semblaient près à nous occire mais, respectant les règles de l’hospitalité, ils nous introduirent dans l’immense palais blanc du Scheik Aziz, seigneur du désert.

Selon ses coutumes, il nous offrit le thé réservé aux hôtes de marque et tandis que nous buvions avec délectation cet odorant thé, Chrétien entama, avec tout le tact possible, une discussion instructive avec Aziz.

Celui-ci avait demandé à tous ses hommes de rejoindre son camps afin de les interroger, il voulait trouver les pillards et les punir avant le Baron et il paraissait fort navré de ces actes de barbarie orchestrés chez son voisin franc. D’un autre côté, ses émissaires ayant été renvoyé manu militari de la Baronnie, il s’attendait, ainsi que son conseiller Malouf, à une attaque des Francs. Il lutterait avec son peuple contre cette attaque injustifiée. Je me pris à croire en son innocence.

                Après avoir pris congé auprès d’Aziz nous prîmes le chemin du retour et malgré un impair, inconscient, de l’écuyer Bertulf, nous arrivâmes sans encombre dans le désert séparant la Baronnie du château d’Olrik.

La température était élevée et nous suions abondamment sous nos épaisses cotes de maille recouvertes de nos capes marqués de la croix rouge. Le chemin que nous suivions était le plus directe et autour de nous nul piste ne se dessinait et pourtant une troupe de cavalier approchait de l’est et semblait venir dans notre direction. Nous ne savions que penser et attendîmes tranquillement la venue de la colonne. Arrivés à vue nous vîmes que les intentions des hommes étaient clairement belliqueuses et nous prîmes rapidement une position surélevée propice à une charge ou à une défense acharnée. Rapidement les cavaliers se séparèrent et vinrent entourés le monticules où nous étions perchés. Un silence de mort s’abattit et au moment où ils encochèrent les flèches à leur arcs, nous chargeâmes, criant notre foi dans le Christ. La mêlée fut rude et mortel, les cavaliers, de trapus turc au bras solides opposèrent une farouche résistance à nos assauts répétés, comme si la mort leur été indifférentes. Mais peu nous importait car nous devions vaincre et, bientôt le sang de nos ennemis recouvrit le sable du désert de la Sainte Terre. Deux seulement sur la quinzaine de turc avaient échappé à nos épées acérées et nous en tenions un prisonnier. Malheureusement pour l’Ordre, Léonard avait périt ainsi que Blaise, Boniface et Bertulf nos écuyers. Seul Félix, celui du Frère Von Richrhoffen survécut, parmi les écuyers, à cette épreuve. Dieu avait voulu leur mort et nous les enterrâmes dès notre retour au château. Le son de nos prières résonne encore à mes oreilles.

                Mais nous ne pouvions oublier notre mission, les ordres supérieurs passant avant tout autre directive. Le château était en effervescence et nous apprîmes de la bouche d’Olrik de l’attaque imminente qu’il voulait lancé contre Aziz. Frère Philibert, exposant le sentiment de nous tous, implora un sursis au Baron, vingt quatre heures pour résoudre l’affaire et dénicher les coupables. Si passé ce délai nous n’avions pas réglé le problème, il pourrait verser le sang des fidèles troupes d’Aziz. Le laissant, nous nous contactâmes en vue de trouver une ligne d’action à suivre. De nombreuses questions se posait à nous : qui était les pillards ? Pourquoi agissaient-ils ? Pour le compte de qui ? Comment pouvions nous les trouver ? Que venait faire une maraude d’archers turcs aussi loin de leur terre ? J’étais dans l’expectative et laissais à mes compagnons le soin des réflexions, je suis un homme de terrain et d’action, non un intellectuel comme Chrétien.

Je décidais, entre none et vêpres, de me plonger dans d’ardentes prières dans le but d’aider mes Frères à la réflexion. Après quelque temps, entendant des cris, je me précipitai dans la cour et ce que je vis, Seigneur, était la preuve de votre Grandeur. Le Baron Olrik était au sol, prosterné, et une aurore divine flottée dans l’air sec de la fin de journée. Olrik parlait, criait et se lamentait et de ses plaintes sortit la claire vérité.

Cet homme n’était qu’un usurpateur, frère jumeau d’Olrik, il avait pris sa place, le tuant et emprisonnant sa femme qu’il cachait dans une des tours du château. La lèpre n’était qu’un artifice pour expliquer sa disparition. L’affreux avait tué bon nombres de personnes et dirigeait lui même les pillards qui n’étaient qu’un prétexte pour déclarer la guerre à Aziz et ainsi, légalement lui prendre ses terres. Ses ambitions étaient grandes et non content de posséder les terres de son défunt frère en France comme en Terre Sainte, il projetait, après l’annexion du domaine du Scheik, de répudier Solange à cause de sa factice maladie et d’épouser une autre gente dame, qui lui aurait apporté de nouvelles richesses. Sans l’intervention divine, il aurait pu mener à bien ses vastes projets impies. Nous n’étions que les instruments de la Justice Divine.

Ecoutant les révélations incroyables de Thibault, tel était le nom de l’infâme, la foule passa de la stupeur à la colère et se mit en devoir de lyncher le repenti. Sa repentance semblait sincère et nous nous miment, nous Chevalier du Temple, de devoir de protéger sa misérable vie.

                Suivi de près par la foule, nous nous précipitons dans le château et fermons derrière nous les portes mais nous savons que cela n’arrêtera pas le peuple réclamant vengeance. Les Pèlerins et marchands sont parmi eux et ils réclame le prix de leurs pertes.

Puis finalement nous arrivons essoufflés dans la plus haute des salles du donjon et, là, un spectacle du plus mauvais goût s’offre à nos yeux. Solange est abattue, prostrée telle une larve attendant l’heure de sa mort mais ses yeux, ses pupilles dilatées et rouge de sang, laisse présager le malheur et un cri, des plus ténébreux, nous révèle une tout autre réalité. D’un bond elle se relève et comme en réponse à son cri, un démon des enfers apparaît devant nous qui, lâchant quelques mots, se jette frénétiquement sur Thibault. Les bras vaillants de mes frères l’empêchent d’abattre son trident maléfique sur le triste sir, tandis que je larde son immonde corps de mes coups d’épée. Le démon laisse paraître un regard étonnée et disparaît. C’était sans compter sur les ressources de Chrétien qui ne fut pas dupe. Le suivant malgré son invisibilité mon Frère l’empêcha d’occire Thibault et nous permit de repousser le démon malgré toutes ses ruses. La dernière chose que nous vîmes de ce démon fut sa chute en enfer, le sol s’ouvrant sous ses pieds pour l’engloutir.

                Revenant à la réalité nous vîmes que le premier rang de la foule se tenait à l’entrée de la salle et que le peuple apeuré refluait déjà vers la sortie. Nous n’aurions plus de problème avec lui. Mais Solange, devenu sorcière, n’avait pas perdu son temps durant le combat et exécutait la fin d’une danse qui la fit s’envoler devant nos yeux éberlués. Elle passa au-dessus de la foule maintenant totalement terrorisée et s’envola dans le crépuscule du désert. Elle ne perdait rien pour attendre.

Nous venions de sauver la paix de la Baronnie et devions remettre, suivant les judicieux conseils de Frère Richthoffen, Thibault aux autorités compétentes pour le juger. Son statut de noble lui conférait le droit de n’être jugé que par la plus haute cour de justice, celle du Roi.

Notre mission s’acheva à notre retour à Saint Jean d’Acre. Il me sembla que le Maître était fière de nous et je m’en réjouissais.

 

Sidon, printemps 1073

                Un mois avait passé sur la Terre Sainte et la chaleur des prémices de l’été commençait à titiller mes sens habitués au confortable climat montpelliérain. Suite à notre périple dans la Baronnie d’Olrik, nous avions été muté à Sidon, une cité située à quelques jours de marche au nord de Saint Jean d’Acre afin que nous participions activement à la sainte activité de cette Commanderie réputée. Nous avions laissé Chrétien de Montfort dans la demeure du défunt Baron Olrik afin qu’il puisse étudier à loisir les traces laissées par la sorcière et découvrir les tenants et les aboutissants de cette satanée histoire. Ils nous manquaient déjà.

                Nous étions donc en garnison à Sidon et tandis qu’Amaury I régnait à Jérusalem, il semblait que la Terre Sainte vivait sous le joug de la paix apportée par les Francs et conservée par la Puissance Templière. Notre Ordre, je le savais, était l’un des piliers du maintien de l’Ordre en Orient. Sidon, quand à elle, était dirigée par le fameux Renaud de Sidon, Duc de son état, secondé en cela par son Sénéchal et Prévôt, Robert de Cambrai, chevalier du Plat Pays et grand jouisseur de la vie. L’évêque de Sidon possédait lui aussi une autorité non négligeable car il gérait son domaine ecclésiastique avec perspicacité et avec l’aide de conseillers redoutables d’efficacité, comme le Chanoine Gormond de Laon.

Ce jour là, après la messe matutinale en compagnie de la cinquantaine de frères présents dans la Commanderie, nous fûmes appelés par la Maître des lieux pour être assignés à une tâche bien particulière. Le Maître nous expliqua qu’une bande d’hérétiques commandée par un certain Joseph avait semé le trouble chez les marchands de Sidon et que les autorités séculières désiraient voir le groupuscule détruit et le dénommé Joseph appréhendé pour être jugé selon les lois en vigueur. Nous devions donc porter assistance au Sénéchal Robert de Cambrai qui s’était mis à la poursuite des hérétiques qui avaient pris la fuite vers l’intérieur des terres sous la conduite du fameux Joseph. Les paroles du Maître résonnèrent étrangement et je pensais sur l’instant que l’histoire ne devait pas être aussi simple qu’elle paraissait et que nous serions confrontés à des événements où seul l’aide de Jésus, notre Seigneur et guide, pourrait nous aider. Mais je croyais au pouvoir de la foi et à la force de notre Ordre, sans oublier en mes compagnons, Ganelon, Philibert et Graf Von Richtchoffen.

                Nous avions perdu, durant un périlleux combat, nos écuyers à l’exception de Graff qui possédait encore son fidèle Félix, et nous dûmes seller et préparer seul notre voyage. Dès que le soleil fut au zénith, nous nous mîmes en route vers l’est et les riches vallées du Duché de Sidon. Pour nous seconder dans cette mission, Ganelon avait été nommé Turcopolier et était chargé de diriger une dizaine de turcopoles, les cavaliers légers et nouvellement convertis à la doctrine du Temple.

C’est dans la chaleur de l’orient, alignés comme la règle l’exigeait que nous quittâmes les faubourgs de Sidon et la protection des murs de la cité.

                Avant la nuit, nous avions rejoints un petit village musulman où nos turcopoles purent apprendre le passage du groupe de Joseph et celui de Sir Robert. Les hérétiques étaient passés il y a trois jours alors que le Sénéchal avait traversé la bourgade la veille au soir. En chevauchant rapidement nous pourrions les rattraper le lendemain. La nuit nous trouva fort fatigués mais nous décidâmes de continuer le plus possible afin de rejoindre les soldats du Duc. Quelques heures après nous prenions position sur une place stratégiquement choisie afin de passer une confortable nuit de sommeil. Un événement fort emblématique perturba, seul, notre repos. Un serpent, diable réincarné, s’attaqua à nous en plein somme et, bien que le tuer ne posa aucun problème, le signe était plus que funeste. Il me sembla que le démon nous avertissait que nous entrions dans son jeu et que cela, pourrait nous damner. L’avertissement était pris en compte.

                Au trot toute la journée, nous traversâmes des régions magnifiques, verdoyantes et cultivées avec soins, les terres de Sidon étaient splendides en ce généreux printemps.

Quelle ne fut pas notre surprise de voir vers le milieu de l’après-midi un camp dressé au fond d’une vallée et portant les fanions de Sir Robert de Cambrai et du Chanoine Gormond. Ils s’étaient installés en face et au sud d’un petit village protégé au nord et à l’est par deux parois rocheuses défendant toutes attaques, et à l’ouest par une épaisse forêt de conifères empêchant toutes charges de cavalerie. Seul le sud était accessible bien qu’une rivière surmontée d’un unique pont séparait les Francs de ce petit village à l’air paisible mais abritant les séides de Joseph.

Les soldats du Duc semblaient avoir pris position pour mener une attaque concertée contre le village. Les paysans que nous vîmes barricadés derrière de bien frêles protection allaient se faire écraser sous le poids des formidables cavaliers francs. Nous nous mîmes au grand galop afin d’empêcher l’éradication des malheureux avant que nous puissions comprendre le fin mot de l’histoire et juger, par nous même, de la culpabilité de Joseph et des siens.

                Malgré toute notre volonté nous ne parvînmes pas à freiner la volonté de destruction de Robert de Craon qui voulait anéantir, quelqu’en soit le prix, les païens, mais semblait plus ravi par le futur pillage que par la satisfaction, naturelle, de la Justice. Je me trouvais mêlé à la charge et décidais de combattre pour l’honneur des Francs tandis que Graf tentait, à juste titre, de faire cesser cet inégal combat. Inégal est le terme, mais fort surprenant. Nous aurions dû les massacrer mais notre charge fut stoppée par les barricades et la volonté fanatique des hérétiques à se battre pour défendre leur idée. Bien des Francs moururent en cette première attaque et je ne dus ma pauvre vie qu’à l’intervention salutaire de Graff, venu en renfort auprès de son Frère Templier.

                Le moment était venu de parlementer avec Robert de Craon et le chanoine. Dégoûté par cette infructueuse rentrée en matière, un combat perdu, je décidais d’aller prier pour l’âme des morts tandis que mes compagnons rejoignaient la tente du sénéchal où un vaste banquet se mettait en place. L’horreur de cette débauche vint atterrer mes yeux quand je les rejoignit quelques minutes plus tard. Robert de Craon était remonté et voulait en découdre à nouveau le soir même afin de réduire en miette cette "volaille d’hérétique". Son courage et sa détermination faisaient plaisir à voir et étaient encouragés par Gormond de Laon, homme visiblement bon vivant, qui semblait prêt à raser le royaume de Sidon pour mettre aux arrêts ce Joseph et sa clique. Mes Beaux doux frères et moi-même sentions que les choses ne seraient pas si simple à résoudre. Des paysans de basse extraction n’auraient pas réussi à contenir la charge des cinquante cavaliers francs sans l’aide d’une puissance supérieure. Restait à savoir si cette puissance était Dieu ou Diable.

                Ne pouvant éviter le combat du soir, nous, Frères du Temple, décidâmes de prendre le village à revers et de surprendre les villageois en empruntant les sous bois de la forêt protégeant l’ouest de la bourgade. Deux turcopoles en éclaireur, nous pénétrions, sans vergogne, cette vierge forêt quand les cris de nos hommes nous firent accourir vers le lieu d’un massacre. Deux lions attaquaient nos éclaireurs impuissants face au danger et Ganelon en tentant d’aider l’un de ces malheureux prit un de ces mauvais coup de griffe qui rendent la vie si difficile. Après un âpres combat, les lions furent mis à mal. Ils n’étaient pas là par hasard.

                La lisière de la forêt atteinte, nous formâmes notre conroi, dirigé par le vaillant Philibert toujours partant pour un combat dangereux où son courage ne serait pas de trop. Le signal convenu envoyé, notre charge fut dirigée vers le centre du village et cela avec beaucoup de succès malgré notre nette infériorité numérique. Pendant que nous combattions sans relâche, nous vîmes que la charge frontale de Robert de Craon était stoppée nette par l’apparition inopportune d’un troupeau de bœufs. Nous nous retrouvâmes rapidement seuls à combattre et, voyant le combat abandonné par les Francs, nous décidâmes d’effectuer une retraite stratégique.

                Le retour au camp fut lamentable. Les hommes de Craon étaient pour la plupart démoralisés et le chanoine, malgré toute sa ferveur religieuse, ne pouvait remonter le moral de la troupe. Au milieu de la nuit, un de nos turcopoles, nous annonça la visite d’un villageois qui comptait collaborer avec nous. Pour une poignée de deniers, il nous livrerait le moyen de combattre Joseph et les siens. Ce traître, Mathias, homme aux cheveux roux et à la mine sombre, ne m’inspira pas confiance. La traîtrise n’est jamais une bonne carte de visite. L’arrivée de Craon et du chanoine nous força à accepter le marché de Mathias qui désirait, visiblement, la chute de Joseph. Pour vaincre le village, nous dit-il, il suffisait de réciter le Credo et la résistance des paysans faiblirait.

De nombreuses interrogations nous passèrent, cette nuit là, à l’esprit. Le serpent, les lions, les bœufs et les oiseaux que des sentinelles de Craon avaient vu dans la soirée, n’étaient-ils pas le signe que Joseph était protégé par les Évangélistes et donc par le Seigneur ou était-ce Satan, qui dans sa ruse, voulait nous faire tomber. Je ne savais.

                Le matin vint et le camp se prépara à l’assaut. Gormond de Laon enseignait le Credo aux derniers ignorants et motivait les troupes du sénéchal. Puis le cor sonna l’attaque. La boucherie fut atroce et malgré nos interventions ponctuelles en vue de sauver les quelques innocents du viol et du meurtre nous, Templiers, ne purent empêcher les Francs de se laisser aller à un odieux pillage que Dieu, dans son infini sagesse, ne pouvait que condamner. Je pleurerais toujours sur la cruauté humaine et la capacité qu’à son prochain de nuire à son prochain.

                Bientôt, les rares survivants, ainsi que Joseph, dont nous avions exigé la survie, furent emprisonnés dans un enclos bien gardé.

Le procès en hérésie fut aussitôt instruit par le chanoine qui ne put que demander notre soutien en tant que conseillers du juge. Le Temple doit toujours agir pour que la Justice et l’Ordre soient respectés. Nous pouvions donc intervenir directement sur la prise de décision du chanoine. Grâce aux talents d’orateur de Graff, nous évitâmes la mort de Joseph et le chanoine reconnut qu’il ne pouvait, seul, le juger. Son cas serait examiné par une instance religieuse supérieure qui pourrait statuer sur son cas.

                Il restait un problème à résoudre, Mathias. Par je ne sais quelle colère démoniaque, il se mit à vociférer contre Joseph et à exiger sa mort. Le voyant si fanatique, nous lui posâmes quelques questions et, son argent en poche, il rejoignit les prisonnier pour être jugé comme sataniste. Il avait craché sur Dieu et semblait le vrai maître de l’hérésie et fomenteur des troubles. Joseph avait été le bouc émissaire, Mathias le vrai coupable.

                Je ne saurais trop tirer de moral de cet épisode de ma vie. Il est certain que nous avons entr’aperçu un mystère divin et que Joseph devait être un peu plus qu’un simple charpentier de son état … (NdGautier : pure imagination de ma part mais il ne pouvait être que charpentier, n’est-ce pas ?)

 

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